Appareillage
Eclaireuses Eclaireurs de France
Groupe Lapérouse de Boulogne-Billancourt

Hiver 1954

Hiver 54, c’est la lettre d’un ancien parue dans l’Appareillage spécial 50ème anniversaire du goupe. Lama Souriant nous raconte son camp de ski avec le groupe. Il faut dire qu’à l’époque, faire du ski était une vraie aventure : il y avait peu de remontées mécaniques, et les skis en bois étaient tout à fait rudimentaires. Cette lettre est également un vivant témoignage de l’aide que pouvait apporter Chevreau à chacun de ses éclés.

Mon cher Pierre,

J’ai osé t’envoyer un petit mot après de si longues années, comme on envoie une bouteille à la mer, et voilà qu’elle me revient, par ton écriture par tes mots, par ton amitié. Le temps fait marche arrière. Il s’arrête en gros plan sur le passé. Je n’ai jamais oublié, mais ces souvenirs que je ne pouvais plus partager avec personne reviennent en surface. Alors, quand tu me dis que tout continue, que je ne reconnaîtrais plus Appareillage, que le groupe fête son cinquantième anniversaire en juin, j’ai vraiment l’impression d’être parti en vacances quelques temps et de rentrer à la maison.

Il grimpe bien celui-là…

Hiver 54, non, ce n’était pas l’abbé Pierre, c’était mon premier camp à la neige avec toi, direction Pontarlier, je ne savais rien de la neige et du ski. Je suis arrivé au rendez-vous à la station de métro en culotte courte et blouson de drap bleu. J’avais les chaussettes hautes avec l’élastique sous le revers pour les empêcher de glisser. Je portais bien sûr le béret, et aux pieds, des chaussures de marche ordinaire. Je devais avoir des gants en laine. J’étais parmi les plus jeunes, j’avais douze ans. Quand nous sommes arrivés à Pontarlier, nous nous sommes rendus à pied jusqu’au chalet qui se trouvait assez haut dans la montagne, la neige était profonde, il faisait frais. Nous portions nos sacs à dos plus nos skis. J’ai encore la sensation de l’effort fourni, le groupe s’étirait, j’étais fier parce que je marchais en tête près de toi. Je me souviens alors que tu as dit « il grimpe bien celui-là ».

J’avais trouvé la vie dont je rêvais !

Une fois arrivés au chalet, nous nous sommes installés dans les chalets en bois par patrouille. J’étais avec les Dauphins. Puis, il a fallu faire du feu dans un grand poêle à bois, c’était magnifique, je me prenais pour un trappeur. La grande aventure pouvait commencer, j’allais la suivre jusqu’au bout, j’avais trouvé la vie dont je rêvais.

J’ai découvert le ski des pionniers, de longs skis en bois avec fixations à ressort et qu’il fallait farter. Quant à la technique, il n’y avait ni prof, ni manuel. On descendait au feeling et on remontait à pied car les remontées mécaniques n’existaient pas. Je devais passer mon temps à faire sécher mes habits de laine devant le grand poêle, vu ma tenue de l’époque.

Il m’a remis la cheville en place.

Et puis, un jour, ce fut l’accident, je me suis fait une belle entorse, j’ai inauguré la luge du chalet. Tu m’as descendu jusqu’au village et tu m’as amené dans une taverne qui ressemblait à un saloon de western avec des paysans du coin accoudés au comptoir qui fumaient et buvaient sec. Tu m’as allongé sur un banc en bois, puis tu es allé t’adresser à un de ces paysans. Je ne te quittais pas des yeux, j’étais un peu inquiet. Puis, un grand gaillard hirsute et sans âge est venu avec toi près de moi. Il s’est assis à califourchon sur le banc pour tâter ma cheville. Puis, il t’a fait un signe pour que tu me tiennes. Après un semblant de grimace, en quelques secondes, il m’a remis la cheville en place. J’en avais les larmes aux yeux, mais je ne me souviens pas avoir crié… Voilà, c’était fini.

Tu m’as fait boire la goutte, et ça, je me le rappelle…

Il est retourné au bar comme si de rien n’était, tu as du lui proposer un peu d’argent, je ne sais pas trop. Par contre, tu m’as fait boire la goutte, et ça, je me le rappelle. Pour moi, le ski, c’était terminé, je passais mes journées au chalet, mais, je ne m’ennuyais pas. Le soir, je découvrais mes premières veillées avec tous les copains autour du poêle.

Laisse, maman, ce n’est rien !

Quand nous sommes rentrés par la gare de l’Est, ma mère m’attendait, et je crois bien qu’en la voyant, j’ai dû lui répondre désinvolte « laisse, maman, ce n’est rien ». Et puis, on est rentré à la maison et tout au long du trajet, j’arborais fièrement ma tenue de drap bleu, mes chaussettes de laine, mon béret avec son insigne, mes skis, mon sac à dos et ma blessure.

Je fouille mes souvenirs, mais je n’ai que des fragments d’images, tu as peut-être des photos ou des documents de cette époque, de quoi reconstituer le puzzle de cette aventure qui allait durer toute mon adolescence.

Reçois, mon frère, mon ami, mes sincères salutations

Claude (Lama Souriant)

N.B. : Ce camp d’hiver n’a pas eu lieu fin 54, mais plutôt fin 55, puisqu’il s’agissait du 1er camp d’hiver du groupe qui eut lieu à Pontarlier dans le chalet-refuge du Larmont.