Appareillage
Eclaireuses Eclaireurs de France
Groupe Lapérouse de Boulogne-Billancourt

Chevreau, l’interview !

Cet interview de Pierre Lévy (Chevreau) a été réalisé dans le cadre de la réalisation d’un Appareillage spécial pour le 50ème anniversaire du groupe.

Chevreau a-t-il existé avant le groupe ? Eh oui, certains indices suggèrent qu’il existait avant 1945 un chevreau… peut-être même plusieurs !

Notre envoyé spécial a retrouvé, sous le pseudonyme de Pierre LEVY : un apprenti dessinateur, un commis aux écritures, un élève de l’Ecole Hôtelière, un barman de night-club, un serveur de restaurant, un sapeur du train, un saboteur très occasionnel, un aide clandestin dans une maison d’enfants, un secrétaire aux listes électorales, un élève officier de réserve. Sans compter un aide comptable, un comptable, un expert comptable, un commissaire aux comptes et d ‘innombrables bénévoles…

Pour y voir plus clair, Appareillage a interrogé Chevreau, qui a accepté de répondre à quelques questions.

Commençons par le début… par ta naissance..
Je suis né en 1923 à Lyon (72 ans déjà !). Là, j’ai beaucoup bougé, beaucoup déménagé. Mon père était «soyeux», ce qui veut dire qu’il dirigeait une fabrique de soie. Quand j’avais onze ans, ses affaires ont été mauvaises, il a dû abandonner et nous sommes tous partis pour Paris… et nous avons continué à déménager souvent. Ce qui fait que j’ai souvent changé de copains et d’école.

Parle-nous un peu de l’école…
Pas grand chose à en dire : ce n’est pas ce qui m’a marqué le plus. J’ai décroché mon certificat d’études avec mention, et à quinze ans, j’ai arrêté l’école. Mes parents étaient d’accord. En fait, je me rappelle surtout ce que j’ai étudié plus tard : l’école hôtelière, où j’ai commencé la comptabilité.

Quand as-tu commencé le scoutisme ?
Ca ne date pas d’hier : J’ai retrouvé ma première carte de louveteau… de 1930. J’avais sept ans. En 1939, les responsables de ma troupe ont été mobilisés. Comme j’étais premier CP de ma troupe, je les ai remplacés, et j’emmenais les autres en sortie. Le scoutisme a été interdit sous l’occupation. Nous nous faisions passer pour un groupe de jeunes du Touring-Club ou de la Croix-Rouge, et nous sortions les uniformes et les drapeaux dès que nous étions à l’abri.

La guerre a changé beaucoup de choses dans ta vie ?
A cette époque, mon père était gérant d’un night-club, et je lui ai d’ailleurs donné un coup de main pour tenir le bar. Mais, il était juif, et le régime de Vichy lui a interdit de travailler. Par contre, ma mère n’était pas juive, donc je n’étais pas visé par les lois raciales, et c`est moi qui ai travaillé pour nourrir la famille.

Quel genre de travail ?
Il y avait à l’entrée et à la sortie de chaque ville une sorte de douane, qu’on appelait « l’octroi ». Mon premier vrai travail était à l’octroi de la porte Champerret. Comme je partais tôt le matin, avant le premier métro, je me suis acheté ma première bicyclette ! Après deux ans d’Ecole Hôtelière, je suis entré dans un grand restaurant. A nous, les serveurs, on nous donnait à manger du poumon (du «mou›. comme pour les chats). Les clients mangeaient royalement… au marché noir… En particulier, on leur servait de la viande même les jours où le rationnement l’interdisait. Si des inspecteurs débarquaient, on cachait la viande immédiatement, partout où on pouvait, sous les tables, dans les vestiaires… et on la récupérait bien sûr pour la ramener chez nous !

Alors, pas d’aventures pendant la guerre ?
Pour éviter d’être emmené en Allemagne, au fameux service du travail obligatoire, je suis parti en zone libre. J’ai rejoint mon frère, qui s’était évadé, et qui m’a fait revenir dans une équipe qui construisait un pont près de Paris. Mais les Allemands ont voulu nous faire réparer des ponts bombardés. Je me suis évadé pour rentrer chez mes parents; le chef de mon équipe, bienveillant, m’a fortement conseillé de repartir en zone libre, définitivement cette fois.

Et alors là, tu t’es quand même caché ?
J’ai  repris contact avec les éclés clandestins, près de Lyon. C’est même là que j’ai fait mon stage de formation pour devenir responsable ; ce que j’aurais dû faire dans le domaine des EEDF, à Cappy, dans l’Oise… mais c`était en zone occupée. Dans une période comme celle-là, tout laisse des souvenirs : les expéditions nocturnes pour aller glisser du sable dans les roulements des trains, les papiers faux ou les vrais qu’on trafique… Je suis revenu en zone occupée travailler comme aide dans une maison d’enfants, toujours clandestin, avec une carte d’identité au nom de Leclerc. Et là, j’ai attendu la fin de la guerre.

Et donc la fondation du groupe Lapérouse, sauf erreur ?
Et oui, j’avais 22 ans et beaucoup d’enthousiasme. C’était un groupe parisien, à l’époque, avec pas grand chose comme local et juste le matériel suffisant. Mais par contre, nous étions très souples : Nous sommes partis pour notre premier camp, à Perros-Guirec, sans savoir où nous allions planter nos tentes, et nous avons trouvé en moins d’une heure ! Alors qu’actuellement, il faut s’y prendre un an à l’avance… L’intendance aussi était plus souple, on avait un vélo pour aller faire nos courses. Pourtant, c’était juste après la guerre, il n’y avait pas encore grand-chose a manger. C’est d’ailleurs pour ça qu’assez rapidement nous avons passé des camps d’hiver en Suisse : là, au moins. on mangeait bien ! Par ailleurs, j’animais des séances de plein air pour aider des écoles ; ça arrangeait bien les instituteurs. . . et moi, ça me permettait de recruter de nouveaux louveteaux.

Et tu as quand même eu le temps de reprendre tes études ?
Oui, mais j’ai toujours dû bien organiser mon emploi du temps ! J’ai commencé par être aide-comptable, et déjà, je refusais de pointer aux heures fixes. J’ai suivi en même temps des cours pour devenir expert comptable, et aussi commissaire aux comptes. Ca m’a fait travailler le soir jusqu’à minuit, mais au moins je choisissais moi-même mes horaires, pour pouvoir me libérer pour les week-ends et les camps.

Et pour conclure toute cette période ?
Quand j’ai commencé quelque chose, j’aime le faire bien et jusqu’au bout. Ainsi, j’ai fait la collection des timbres français neufs, depuis que j’ai 12 ans : sur mes 60 années, pas un seul timbre ne manque !

Propos recueillis par François G. (Okapi)

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